Tout commence toujours par un voyage. Celui-ci aurait pu être un banal déplacement entre Lyon et Annecy, une mission routinière sur l’autel de l’électromobilité, si je n’avais pas récupéré ce matin-là ce qui ressemble davantage à une capsule temporelle échappée d’un roman d’Asimov qu’à un véhicule familial. Dans un silence de cathédrale, la Smart #5 BRABUS est venue me cueillir sur un parking anonyme de la périphérie lyonnaise. Une créature bardée de kilowatts, bardée de haut-parleurs, bardée de technologie, bardée… tout court. Une sorte d’OVNI rectangulaire, habillé comme une brute chic, silencieuse, mais prête à bondir.
Je l’observe quelques secondes, le regard circonspect. Car oui, on parle bien ici d’une Smart. Une Smart qui a décidé d’abolir les limites de taille, d’usage et de logique. Et c’est là que commence l’aventure.
Il était une fois une petite ForTwo
Pour comprendre cette mutation, il faut revenir aux origines.
Smart, c’était à l’origine un concept de poche, conçu pour les cités saturées, les ruelles étroites, les places de parking trop courtes. La ForTwo, petite boîte à roues lancée par Mercedes, avait fait sensation. Économe, impertinente, presque utopiste. Elle roulait à contre-courant avec son gabarit de caddie, son moteur arrière et son rayon de braquage à faire rougir une trottinette. Mais le monde a changé, et les voitures avec lui. Alors est arrivé Geely. Le géant chinois, roi de l’absorption industrielle, a décidé que la marque allemande méritait autre chose que des voitures de poupée. Trois modèles plus tard, on se retrouve avec la #5. La plus grosse, la plus puissante, la plus pleine de promesses, mais aussi de paradoxes. Un vaisseau aux dimensions de SUV familial, pensé pour les familles européennes mais assemblé avec une philosophie sino-germanique. Et ça se voit dès le premier coup d’œil.
Le retour du cube
Contrairement aux canons actuels du
SUV "
fastback", la
Smart #5 assume des lignes franches, un profil de cube aérodynamique comme un conteneur maritime, et une silhouette qui évoque davantage le Defender que le coupé sportif. Pas de lunette fuyante, pas de hayon en pente douce, mais une verticalité affirmée, revendiquée. De face, la calandre pleine et les optiques globuleuses fixent la route avec l’aplomb d’un buffle sur armature aluminium. De profil, les arches de roues débordantes et les jantes de 21 pouces imposent un certain respect. Ce SUV n’essaye pas de vous séduire par des effets de style, il s’impose. Brutal, sincère, fonctionnel. On pourrait croire à une blague si le reste n’était pas aussi sérieusement exécuté.
À l’ouverture de la porte conducteur, le contraste avec l’extérieur saute au visage. Le style brutaliste cède la place à un univers d’alcantara, de cuir matelassé et de finitions chromées. L’intérieur semble issu d’un croisement entre un loft berlinois et une navette spatiale. Trois écrans flottent dans cet espace futuriste : un cockpit numérique lisible, un écran central OLED très réactif et un troisième devant le passager. Oui, le passager peut prendre la main sur la sono ou afficher ses propres contenus pendant que le conducteur s’occupe de l’essentiel. Une bonne idée sur le papier, un peu gadget à l’usage, mais terriblement dans l’air du temps.
C’est surtout la qualité perçue qui surprend. Les sièges accueillent le corps comme dans un cocon de première classe. Le volant tombe parfaitement sous la main. Les rangements abondent, les plastiques durs sont invisibles, l’ambiance lumineuse à 256 couleurs transforme les trajets de nuit en séance de luminothérapie. Et puis il y a le son. Le système Sennheiser, avec ses vingt haut-parleurs répartis dans l’habitacle, ne se contente pas de jouer de la musique. Il l’injecte dans l’espace, la fait vibrer jusque dans les portières, la diffuse comme une onde enveloppante. Sur l’autoroute, j’ai failli rater une bretelle, hypnotisé par une vieille piste de Massive Attack qui résonnait comme dans une salle de concert vide.

Le manuel du vaisseau
Sous le capot, ou plutôt sous le plancher, se cache une architecture qui ferait rougir une Porsche Taycan. La Smart #5 BRABUS repose sur une plateforme électrique en 800 volts, avec une batterie de 100 kWh. Une batterie massive, qui alimente deux moteurs pour une transmission intégrale, une répartition de puissance chirurgicale, et des performances dignes d’un autre monde. À pleine charge, ce cube roulant développe l’équivalent de 643 chevaux. Oui, vous avez bien lu. 643. De quoi expédier le 0 à 100 km/h en 3,8 secondes, soit plus vite que beaucoup de sportives estampillées GTI. Mais sans bruit. Ce qui rend l’expérience à la fois fascinante et un peu inquiétante. Car ici, le silence précède toujours la tempête.
Le silence des dieux
Premier contact sur le périphérique lyonnais. La
Brabus se montre docile. Mieux : moelleuse. Les suspensions filtrent le bitume comme un mohair sur un parquet ancien. C’est d’un confort presque troublant pour une voiture qui porte un blason habituellement synonyme de brutalité mécanique. On glisse plus qu’on roule. Un instant, je crois même retrouver les sensations d’une Citroën hydropneumatique, mais avec la rigueur d’un châssis moderne. Et puis vient la montagne.
Dans les lacets menant aux cols de Haute-Savoie, la bête se réveille. Chaque virage devient un exercice de physique appliquée. L’accélérateur répond instantanément, les quatre roues motrices tracent leur trajectoire avec une précision quasi algorithmique. Et pourtant, à chaque sortie de courbe, l’accélération me repousse dans le siège avec la violence d’un moteur-fusée. C’est trop. Trop rapide, trop lourd, trop efficace. Mon cerveau n’arrive pas à suivre le rythme. J’ai dû m’arrêter à mi-parcours, le temps de reprendre mes repères spatiaux. La
Smart #5 ne fait pas que monter les cols. Elle les pulvérise.
Le retour sur autoroute est plus calme, mais pas dénué d’enseignements. Car si l’autonomie annoncée dépasse les 500 km en cycle WLTP, la réalité est, comme souvent, plus mesurée. À 130 km/h stabilisés, l’ordinateur de bord affiche une consommation autour de 26 kWh aux 100 km. Ce qui permet de tabler sur 270 à 300 km entre deux recharges, ce qui reste très correct. Sauf que le régulateur de vitesse adaptatif a une fâcheuse tendance à interpréter les panneaux à sa sauce, vous ralentissant sans raison. 130, 110, puis 70, sans justification autre qu’un panneau mal lu. L’interface ADAS demande trop de manipulations pour désactiver les aides, ce qui gâche un peu l’expérience. Un détail ? Peut-être. Mais irritant au quotidien. Heureusement, autour d’une partie de baby-foot improvisée dans un relais routier, un responsable de Smart France m’annonce l’arrivée prochaine d’un bouton programmable sur le volant, permettant de rappeler un profil conducteur. Un détail qui change tout.

Plier le game, par la recharge !
Et puis il y a eu ce moment. Ce moment suspendu entre deux balles, quelque part où le baby-foot servait autant de table de négociation que d’arène de règlements de compte franco-français. J’étais en train de fignoler une roulette sur le flanc droit quand Cyril Bravard, PDG de Smart Automobile France – et visiblement buteur de la team bleue depuis le lycée – a lâché une phrase entre deux passes : «
T’as vu les charges qu’elle encaisse, la #5 ? »
Je lui ai lancé un regard dubitatif, entre le coin du front et la poignée des milieux, pendant que mon attaquant préparait un tir en lucarne. Et là, sans crier gare, d’une main, il dégaine son téléphone. L’autre restait vissée au manche central, parce qu’on n’abandonne pas une ligne pour un PDF technique, faut pas déconner. Sur l’écran : des photos. De vraies, pas des rendus marketing en 3D. Une Smart #5 branchée à une borne, et surtout, des chiffres. 416 kW. Puis 389. Et, clou du spectacle, une courbe de charge à 134 kW alors que la batterie flirtait déjà avec les 92 %. Je regarde, je bugue. J’ai failli prendre un but tellement mon cerveau avait freeze.
Alors, je vous vois venir, les sceptiques : "
Mouais, ça doit être une borne de test, en Chine, avec un vent favorable et un ingénieur branché dessus avec une pince croco". Eh bien non. C’était en France, sur une borne ouverte au public, et confirmée ensuite par un confrère – celui qui jouait les avants de la team rouge, et accessoirement responsable d’un site auto concurrent – qui me montre fièrement sa propre capture d’écran. 402 kW. À ce niveau-là, on ne parle plus de recharge. On parle de transmutation énergétique.
Alors non, je n’ai pas pu tester moi-même, faute de borne disponible et de timing compatible avec mon trajet. Mais à la vue des preuves, difficile de douter. Pour une fois, la fiche technique ne raconte pas de poésie. Elle balance des chiffres bruts comme des smashes en lucarne, avec un petit sourire en coin. Et moi, spectateur de ce curieux mélange de technologie de pointe et de compétition de baby-foot, j’ai compris une chose : cette Smart #5 ne se contente pas de charger. Elle plie le game, en silence, pendant que vous essayez encore de retrouver votre carte de recharge.